jeudi 24 mars 2011
La carte et le territoire
Comment ne pas éprouver un léger malaise à la lecture de passages où il arrive à si bien décrire la société post moderne et consumériste dans laquelle nous évoluons.
Mais comment aussi ne pas sourire ou même pouffer de rire lorsqu'il taille un short à Christine Angot ou à un critique qui l'a vraisemblablement mal apprécié.
Rien de ce qu'il écrit n'est gratuit et je me refuse à croire que Houellebecq se complait dans l'univers qu'il décrit. Son regard est tranchant et cynique mais le talent et la justesse de l'auteur permet de mettre le projecteur sur nos propres contradictions. "Je veux simplement rendre compte du monde" insiste t'il dans l'épilogue.
Le vol Ryanair à 4€99 ou la Bugatti Veyron à 4 turbopropulseurs (je le soupçonne d'avoir à dessein changé les compresseurs par des propulseurs d'aviation), ce ne sont que deux exemples.
Le réalisateur d'un film d'horreur ne prêche pas plus la violence que Houellebecq le consumérisme.
Houellebecq est un poète maudit de notre époque. Iconoclaste et provocateur, il n'épargne rien ni personne, même pas lui même.
Je me suis vraiment marré lorsqu'il se compare à une vieille tortue malade.
Voilà comment Houellebecq se décrit: "lorsqu'il n'est pas vêtu de son éternel pantalon en velours côtelé, il porte "un pyjama rayé gris qui le fait vaguement ressembler à un bagnard de feuilleton télévisé".
Il "pue un peu mais moins qu'un cadavre" et vit dans une maison "facile à reconnaître", avec "la pelouse la plus mal tenue des alentours et peut-être de toute l'Irlande".
"Il avait pris du ventre depuis la dernière fois, mais son cou, ses bras étaient toujours aussi décharnés; il ressemblait à une vieille tortue malade".
Houellebecq doit être adepte de l'humour british. Pour s'en convaincre il suffit de se repasser son couplet sur le "sourire désarmant".
On retrouve un leitmotiv dans ses romans, c'est le thème du voyage. Houellebecq connait le sujet sur le bout des doigts et se délecte à nous abreuver d'informations sur l'économie du tourisme. Dans ce roman c'est les vols entre Shannon Beauvais et Carcasonne et sa copine malgache Geneviève qui l'emmène à Maurice. Et aussi son père qui construit des résidences balnéaires en Espagne et en Croatie. On y apprend que Paris est la nouvelle plaque tournante du tourisme sexuel, que les compagnies aériennes sont des "organisations intrinsèquement fascistes" car elles refusent de délivrer une carte d'embarquement au bichon bolonais de la compagne du commissaire oligospermatique Jasselin. Il s'agit du "hero" de la troisième et dernière partie du roman. L'opus final.
La peinture et l'art ont une place de choix dans son roman, comme dans ses précédents. Par contre, je ne me souviens pas qu'il ait évoqué par le passé les modèles alternatifs d'organisation sociale. Il le fait ici par la mise en scène de William Morris. Il cite les phalanstères fouriéristes, la communauté icarienne de Cabet, les écrits de Chesterton, Saint Simon, Owen, Carlyle, Pierre Leroux, Marx, Proudhon et Comte. Houellebecq a indubitablement une tendance libertaire prononcée voire carrément anarchiste. On le devine à la lecture de la troisième partie lorsqu'il évoque les TAZ (zones d'autonomie temporaire). Sa TAZ à lui est de pouvoir écrire sans retenue ce qui dérange. Ce dont beaucoup lui font grief. Mais ce qui fait aussi que beaucoup d'autres l'aiment.
Il aborde à plusieurs reprises la question de la démocratie en citant Tocqueville et son essai "De la démocratie en Amérique", fustigeant au passage, par le biais de la prose de ce dernier, l'individualisme dilettante de Lamartine.
Il y a parfois des couplets un peu limites quand il compare les allemands à des Gremlins mais primo il fait surement référence à la minorité nazie, et deuzio cela reste très drôle et comme tout le monde en prend pour son grade, c'est somme toute assez équilibré.
Extrait: "Les Allemands essayaient dans leurs notices de maintenir la fiction d'un choix raisonné fidèle et lire le mode d'emploi d'une Mercedes demeurait un réel plaisir; mais au rapport qualité prix la fiction enchantée, la social démocratie des Gremlins ne tenait décidément plus la route".
Je l'ai aussi trouvé injuste avec Picasso, mais comme dit le dicton "on ne fait pas d'omelette...".
*La carte et le territoire, Michel Houellebecq, roman, Flammarion, Paris, septembre 2010.
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