samedi 22 octobre 2011

Les gens de couleur


Les gens de couleur, ou sang-mêlés ou mulàtres (par extension du terme qui indique de façon plus spécifique uniquement les premiers rejetons du croisement) étaient le produit de l’union entre un blanc et une noire (le cas inverse étant presque inexistant) et de tous les croisements successifs. Les résultats de ces croisements étaient enregistrés et dénommés de façon maniaque dans les colonies françaises, et plus particulièrement dans les Antilles,[3] pour empêcher que la tache noire originelle ne fût oubliée, surtout lorsque à la suite de ces unions mixtes les enfants naissaient entièrement blancs. Il suffit, pour se rendre compte de cette sorte de hantise de la couleur, de parcourir les tableaux insérés par Moreau de Saint-Méry – colon martiniquais, devenu plus tard, sous Napoléon, gouverneur du duché de Parme – dans sa Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’île de Saint-Domingue, écrite à la veille de la Révolution mais publiée seulement en 1797, à Philadelphie, où l’auteur s’était réfugié à la suite des événements révolutionnaires. La précision presque maniaque faisait partie du caractère de Moreau, mais ici elle ne fait que refléter le calcul méticuleux de la moindre goutte de sang noir, dénonçant l’origine impure et sans rachat qui caractérisait la mentalité des Antilles. Ainsi Moreau, qui n’a pas une attitude spécialement raciste face aux sang-mêlés, établit différents tableaux où l’on peut trouver les combinaisons du blanc, du nègre, du mulàtre, du quarteron, du métis, du mamelouc, du quarteronné, du sang-mêlé, du sacatra, du griffe, du marabou etc., suivi d’autres tableaux où est évalué le pourcentage de sang blanc ou noir qu’on relève aux différentes étapes du croisement. Ce souci classificatoire occupe presque entièrement le chapitre de son ouvrage consacré aux affranchis, autre terme employé comme synonyme de gens de couleur, même s’il y avait aussi des noirs libres.
[...]
"L'Assemblée Nationale reconnaît et déclare que les hommes de couleur et nègres libres doivent jouir, ainsi que les colons blancs, de l'égalité des droits politiques"[29]. En hommage à ce texte, qui les intégrait sans aucune restriction, les hommes de couleur se nommèrent "citoyens du 4 avril". Mais entre temps la situation aux colonies avait précipité. Saint-Domingue, désormais bouleversée par la révolte servile, avait d'autres problèmes à résoudre: on a l'impression que la mère patrie était largement en retard par rapport à la situation réelle de ses colonies. D'autant plus qu'il ne suffisait pas d'une loi pour abolir un préjugé dont la contagion avait gagné tous les niveaux de la société coloniale. L'explosion de racisme qui éclate en France et dans les colonies après la prise de pouvoir de Napoléon - qui, on le sait, rétablit en 1802 l'esclavage aboli par la Convention en 1794 - en est la plus nette confirmation. On pourrait faire recours à beaucoup d'exemples tirés des écrits de l'époque, mais il suffit de citer un bref passage des Égaremens du nigrophilisme, publié en 1802, dû à la plume de Baudry Deslozière (ou des Lozière), ancien militaire, propriétaire à Port-au-Prince et nommé en France historiographe de la Marine: "Hélas! ce sang n'est que trop mélangé dans les Colonies, et cette corruption ne gagne que trop toutes les parties de la France. – Un peu plus, et ce mélange, déjà trop commun ira jusqu'à dénaturer le caractère de la nation, et l'on verra, si je puis m'exprimer ainsi, des Mulâtres en morale comme en physique"[30]. Et, pour conclure, je cite un passage de l'article "Mulâtre" du Grand Larousse universel du XIXe siècle, tiré de l'Histoire naturelle du genre humain du médecin Jean-Jacques Virey[31]: "Les mulâtres et les races mélangées passent pour être, dans les colonies, la lie de l'espèce humaine"[32]. On est entré dans les années sombres qu'Yves Benot étiquette comme époque de "la démence coloniale".[33]
http://www.cromohs.unifi.it/8_2003/biondi.html

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