dimanche 13 novembre 2011

La frugalité gourmande


De Ariane
http://ariane.blogspirit.com/apps/m/archive/2011/09/11/connaissez-vous-luigi-cornaro.html
Luigi Cornaro, italien du 16e siècle est célèbre (enfin, tout est relatif...) car il est mort à 102 ans après avoir prolongé sa vie en bonne santé grâce essentiellement à l'alimentation : il a écrit un texte à ce sujet : "De la sobriété - Conseils pour vivre longtemps".
On me l'avait présenté sous cet angle de la sobriété, donc mangeant très peu de façon très raisonnable. Un chantre de la restriction, ai-je donc pensé. Très peu pour moi ! Mais j'ai été un peu plus loin et j'ai lu ses écrits. En fait, je l'ai trouvé plus proche de mon approche que je ne l'imaginais car il prône avant tout... l'écoute de soi ! Ses principes concernant l'alimentation peuvent en fait se résumer en deux mots : quantité et qualité.
En effet, il explique qu'il a passé beaucoup de temps à déterminer la quantité de nourriture dont il avait besoin (beaucoup moins que ce qu'on lui recommandait) en étant très à l'écoute de son corps, de sa faim et de ce qui le rassasiait. Un proverbe lui est cher (il pourrait intéresser les personnes qui ont du mal à s'arrêter quand elles sont rassasiées) : "la nourriture qu'on s'abstient de prendre quand on a bien mangé profite plus que celle qu'on a déjà prise"...
Ensuite, il parle qualité des aliments. Là encore, c'est une écoute très attentive, qui lui a pris beaucoup de temps, des effets des aliments sur son corps, qui lui a fait déterminer quels aliments conserver car ils convenaient à son tempérament et lesquels sortir au contraire de ses repas.
Il n'a aucun interdit a priori et seul l'impact des aliments sur son corps, sa forme, son énergie lui importe. Il a d'abord essayé les aliments qui lui étaient agréables au goût mais il a renoncé à ceux dont le "mal" qu'ils lui faisaient était supérieur à ce plaisir. Parmi eux, le vin froid, certains poissons, le porc, les tourtes, les pâtisseries mais aussi les fruits, les potages de légumes... Voici en revanche l'alimentation qui a eu des effets si bénéfiques pour lui : la base, c'est du pain, la panade (un bouillon de viande qu'on mange avec du pain) ou un bouillon ou un potage ; puis de la viande : veau, chevreau, mouton, poulet, perdreau, divers gibiers ; des poissons de mer et de rivière : dorade, brochet, etc. Et s'il avait moins de moyens, ce serait tout simplement pain, panade et oeuf. On est alors loin des préceptes nutritionnels d'aujourd'hui, basés en principe sur des connaissances beaucoup plus scientifiques...
Attention, il ne dit jamais que ce sont cette quantité et ces aliments particuliers qu'il recommande de manger. Surtout pas ! Au contraire il pense que chacun est seul à pouvoir se connaître vraiment et chacun peut avoir des besoins différents. Et si cette alimentation lui a permis de vivre si vieux, ce n'était pas forcément le premier effet recherché, mais surtout d'être moins malade et davantage en bonne forme et plein d'énergie pour vaquer à diverses activités.
Il recommande de lutter contre les envies de manger des aliments nocifs : faudrait-il qualifier cela de régime restrictif ou d'attention pour soi ? Selon lui le bénéfice de bien-être et de forme est tellement important que cela en vaut la peine. Par ailleurs, le manger émotionnel est peu évoqué, mais c'est sans doute essentiellement un trait de notre époque.
Pour ma part, très souvent, quand un patient me pose une question sur les éventuels méfaits de tel ou tel aliment courant, je lui retourne la question "quel effet il vous fait à VOUS ?". Car il y a peu de règles universelles.
http://ehess.philosophindia.fr/inde/theatralite/emotions-et-valeurs/sante-force-beaute.html

dimanche 6 novembre 2011

Histoire de différences, différences d’histoire...


« Histoire de différences, différences d’histoire... ».
Note de lecture du livre de Clair Michalon.
Par Eric Boespflug

C Michalon traite dans ce livre de l’origine des différences culturelles, à partir de 3 facteurs :
- L’oralité VS l’écriture
- Le nomadisme VS la sédentarité
- La précarité VS la sécurité

Oralité VS écriture
Dans les cultures orales :
- la diffusion du savoir est directement fonction du nombre et de la qualité des relations sociales. Dans ce type de culture, le stockage du savoir se fait à l’aide de dictons et de proverbes. Les cultures orales se caractérisent, selon C Michalon, par une prédominance du sens sur les liens de causalité : on ne cherche pas à comprendre le « pourquoi », mais plutôt le « vers quoi ».
- le tri des savoirs s’opèrent selon un « clé » unique. Cette clé, c’est l’utilité sociale que chaque information confère à celui qui la reçoit et à celui qui la donne.
- la distribution du savoir s’appuie enfin sur un très forte structuration du système social : ceux qui « savent » se transmettent le savoir au détriment de ceux qui ne « savent pas ».
Le savoir est en quelque sorte un outil de préservation du pouvoir par les classes dominantes et un facteur de préservation de la structure sociale.
Dans les cultures écrites :
- la diffusion du savoir ne repose plus du tout sur les relations interpersonnelles. Selon C Michalon, l’apparition de l’écriture marque le début d’une « longue marche vers l’individualisme ». Pour la première fois, l’homme n’a plus « besoin » d’autrui pour vivre.
Dans les cultures de l’écrit, la rupture relationnelle n’a effectivement plus de
conséquences sur le niveau de savoir.
- le tri des savoirs n’est plus nécessaire ! Dans les cultures de l’écrit, le savoir est accumulé sans distinction entre ce qui serait utile et ce qui ne le serait pas.
- la distribution du savoir, enfin, ne repose plus sur une forte structuration du système social. C Michalon a même tendance à penser que l’apparition de l’écrit porte en ellemême les germes des premières contestations des organisations sociales.
Par ailleurs, la naissance de l’écriture constitue un « chemin long et lent vers l’abstraction ».
Au tout début, les premières formes de l’écrit sont des « pictogrammes » (1 objet = 1 dessin).
Aux pictogrammes succèdent les « idéogrammes » (1 réalité = 1 signe). Les idéogrammes sont en quelque sorte des pictogrammes qui représentent des réalités concrètes et abstraites (objets + idée).
Enfin, apparaissent les « idéophonogrammes » : ce sont l’association de signes et de sons. Le Japonais et le Chinois sont par exemple constitués d’idéophonogrammes.
Selon C Michalon, les idéogrammes et autres représentations graphiques de l’écriture sont propices à une pensée de type analogique.
A l’inverse, les écritures de type alphabétiques se prêtent d’avantage à un type de pensée analytique.
Dans les écritures alphabétiques, processus de décomposition / recomposition des mots porte instinctivement les hommes à considérer le tout comme la somme des parties.
Dans les écritures idéophonogrammiques, par contre, le tout n’est pas l’addition de parties intrinsèquement distinctes : il a une existence propre.

Nomadisme VS sédentarité
Selon C Michalon, le premier conflit qui oppose des humains est celui des nomades contre les sédentaires.
Les premiers hommes sont tous nomades et c’est par eux que l’homme entreprend sa longue conquête des espaces vierges du monde. L’origine des premiers sédentaires coïncide avec l’apparition des premières sociétés de l’écrit : avec la satisfaction des besoins fondamentaux, l’homme entre dans une nouvelle ère, celle du savoir.
Pour C Michalon, on peut voir le péché originel comme l’abandon forme de vie entièrement tournée vers l’adéquation entre l’homme et son milieu naturel. Selon lui, le jardin d’Eden pourrait donc être une représentation nostalgique des cultures sédentaires à l’égard de leur vie nomade antérieure.

Précarité VS sécurité
Cette distinction est plus que jamais d’actualité. Elle met en évidence les logiques propres qui prévalent dans les sociétés ayant acquis un niveau de bien-être matériel élevé et dans les société guidées par la survie quotidienne.

Conclusion
Pour C Michalon, les cultures sont le fruit d’une complexification croissante des modes de transmission du savoir, des logiques de sédentarité et de logiques de sécurité (ou de précarité).

De fait, il y a :
- des sociétés nomades, de tradition orales et répondant à une logique de précarité. Ex : les indiens d’amérique.
- des sociétés nomades, de tradition écrite et répondant à une logique de précarité. Ex : les touaregs.
- des sociétés sédentaires, de tradition orale et répondant à une logique de précarité. Ex : les ethnies africaines.
- des sociétés sédentaires, de tradition écrite et répondant à une logique de précarité. Ex : les castes indiennes.
- des sociétés sédentaires, de tradition écrite et répondant à une logique de sécurité. Ex : les pays occidentaux.
Etc...

Ce que j’en pense L’urgente nécessité que soulèvent les problèmes de réchauffement de la planète, de réduction des espèces animales et d’accroissement des inégalités (...) ramène, selon moi, à une question de survie de l’espèce humaine. Dès lors, les cultures de la précarité ont beaucoup à apprendre
aux pays occidentaux pour permettre la transition d’une logique de sécurité à une logique de précarité, certainement plus à même de répondre efficacement aux défis que posent le développement durable.
Cependant, on peut s’interroger sur la capacité des occidentaux à intégrer la question de la survie du groupe à une dimension individuelle...
Tant que la logique de sécurité prévaudra sur la logique de précarité, on risque fort de voir le développement durable se réduire à des actions à proprement parler « rassurantes », c’est à dire incapables de traiter d’autre chose que du « risque » (par rapport aux explosions chimiques, par rapport aux appels à boycott, par rapport à tout ce qui, in fine, pourrait porter atteinte à l’image et au CA).

http://www.ba-consultants.com/pdf/histoire%20de%20differences%20clair%20michalon.pdf

samedi 5 novembre 2011

Droit d’ingérence, devoir d'ingérence ou devoir de réserve ?


Résumé :
Ne pas intervenir serait en quelque sorte un délit de non assistance à peuple en danger...
Un devoir de réserve est irrecevable sur le plan de l'éthique du vivre ensemble sur la même planète. Par contre il existe bien un devoir de réflexion, de concertation et de modération.

Développement :
Pour le pays qui fait l'objet d'une ingérence il est souvent question de son droit à ne pas rester dans l'indifférence vis à vis des autres pays de la planète.
L'ONU dénie à ses membres le droit à l'indifférence.
L'ingérence, justifiée par des raisons humanitaires, vise à rétablir les droits fondamentaux du citoyen, à commencer par celui de pouvoir vivre sans entrave majeure. Dans les pays totalitaires où les droits du citoyen sont bafoués (pas de droit de vote, persécutions politiques, tortures, répressions sanglantes, etc.), il s'agit de destituer le dictateur et de mettre en place un régime démocratique.
C'est le siècle des Lumières qui a redonné ses lettres de noblesse au devoir d'ingérence. Mais ce devoir a déjà fait l'objet de controverses au XVIIème siècle avec Hugo Grotius qui est l'un des pères du droit international.
Car quand il s'agit du respect des droits de l'homme, il ne s'agit plus seulement d'un droit mais bien d'un devoir. C'est une obligation éthique d'assister les peuples pour la restauration de leurs droits élémentaires et de leur souveraineté.
C'est même un devoir inscrit dans le droit pénal international depuis 1988.
Mais le droit international ne définit pas de hiérarchie explicite entre droits de l'homme et souveraineté nationale. Il n'existe donc pas de réponse strictement juridique à la question de savoir si un État illégitime au regard des droits de l'homme reste légitime dans son opposition à toute intervention étrangère.
Intervenir est un délit contre la souveraineté nationale d'un pays.
Mais ne pas intervenir serait en quelque sorte un délit de non assistance à peuple en danger.
Cette nécessité, si elle ne fait pas l'unanimité, reste dictée par la conception morale de ce qu'est une société juste et du respect dû à toute personne humaine. Car au-delà de l’émancipation d’autres peuples prisonniers de traditions ou de systèmes politiques archaïques, c'est bien du respect des valeurs républicaines et démocratiques portées par les lumières et la révolution dont il s'agit.
Les droits de l'homme ne sont pas un acquis qu'il faut protéger mais un combat permanent pour qu'ils soient moins bafoués.
Mais l'ingérence, si elle est un devoir, ne doit pas se faire n'importe comment. Sans forcément évoquer la théorie du complot, il est évident que sous couvert de bonne conscience humanitaire, certaines puissances peuvent profiter de l'occasion pour conforter des positions géo stratégiques, politiques ou économiques. On peut même soupçonner certains d'en faire un objectif prioritaire. On remarquera au passage que c'est rarement les pays pauvres ou anciennement colonisés qui font de l'ingérence chez les pays riches ou anciennement colonisateurs. Et ce n'est pas que pour des raisons de civilisation plus ou moins avancée sur le plan des droits de l'homme.
L'ingérence doit donc se faire avec l'autorisation ou sous l'égide d'une autorité éthique supranationale telle que l'ONU.
Elle doit également afficher des objectifs et des moyens clairs et validés par cette dernière.

Il y a dans la question du droit de réserve quelque chose de l'ordre de l'humour anglais que l'on retrouve dans certains jeux télévisés du genre de "qui c'est qui veut gagner des millions?" ou la dernière réponse est toujours décalée et très fausse pour permettre au télé joueur de se détendre un peu. Le rédacteur, non sans malice, ouvre une porte à la franche rigolade et parfois au défoulement quand les questions précédentes sont trop faciles ou trop ardues.
Que veut dire devoir de réserve quand nos voisins, d'une autre nationalité certes, se font assassiner ou torturer pour leurs idées et parfois exterminer pour leurs croyances religieuses ou leurs origines ethniques?
Ne s'agit-il d'une réserve comparable à celle qui pourrait être invoquée lorsque l'enfant des voisins se fait martyriser par ses parents, ou qu'une femme se fait violer sous nos yeux dans une rame de métro ?
Quel devoir de réserve avons-nous quand on rafle et déporte des juifs ou quand on jette des harkis dans la Seine ?
Dans ce cas de figure, même s'il est important d'évaluer la situation, d'apprécier ses chances de réussites et l'éventualité de "dégâts collatéraux", on peut parler de quelque chose entre l'indifférence et la lâcheté.
La comparaison peut susciter la réflexion mais elle ne doit pas nous détourner de la question qui nous est posée qui est bien celle de l'ingérence humanitaire au niveau international. C'est à dire concernant les droits de l'homme puisque tout ce qui est humanitaire touche les droits de l'homme et vice versa.
Même s'il y a des similitudes, la question posée n'est pas celle de la non assistance à personne en danger ou de notre position personnelle sur l'assistance qu'il faudrait apporter à un peuple en danger. Mais bien celle qui est un sujet brûlant de la politique internationale de ces dernières décennies, qui concerne l'ingérence qu'une nation ou un groupe de nations peut légitimement opérer pour assister le peuple opprimé d'une nation tierce.
Ne pas traiter de ce sujet précis ou le noyer dans une problématique plus large ou décalée, serait à mon avis, non pertinent, hors sujet.
Peut être pourrait on imaginer un droit de réserve, plutôt qu'un devoir, qui consisterait à justifier de circonstances précises pour ne pas agir. Par exemple un pays pourrait justifier d’une certaine impuissance ou inefficience à agir. On évite de plonger pour porter secours à quelqu’un lorsque l’on ne sait pas nager mais on lance une bouée ou on appelle une personne plus compétente.
Le fait de ne pas agir directement n’empêche pas de faire toutes démarches possibles et imaginables pour apporter son soutien d’une façon ou d’une autre. Aucun pays ne peut se défausser en s’en remettant à un pays plus puissant ou à une autorité supranationale. Par contre il est du devoir de chaque pays d’apporter les moyens qu’il est en mesure de fournir dans la coalition. Le devoir n’est pas celui de la réserve mais de la pro-activité.
Un devoir de réserve est donc irrecevable sur le plan de l'éthique du vivre ensemble sur la même planète. L'ONU refuse à ses membres le droit à l'indifférence.
Par contre il existe bien un devoir de réflexion, de concertation et de modération. Certaines actions doivent être rapides lorsque la situation d'urgence humanitaire l'exige. Mais quelque soit le degré d'urgence il est indispensable d'évaluer les conséquences d'une action d'ingérence pour en fixer le contour en termes d'objectifs et de moyens. Les moyens pouvant comprendre des dimensions diplomatiques (négociations), économiques (restrictions, blocus) ou militaires (avec une graduation très large). Ce n'est que par la concertation avec la communauté internationale que cette action pourra être calibrée, modérée, adaptée et légitimée.